Assis sur son fauteuil blanc, au centre d’un hall imposant du Musée de la Grande Guerre patriotique de Moscou, Vladimir Poutine s'est mué en conférencier. Face à une audience de jeunes Russes, le maître du Kremlin a distillé son message avec une assurance tranquille, profitant d’une question anodine pour asséner une affirmation retentissante. Le 30 avril dernier, il a déclaré que “certains citoyens de la République française se battent côte à côte avec nos combattants… et ont nommé leur unité comme leurs grands-parents : Normandie-Niémen”.
Cette simple phrase a suffi à soulever une vague de questions, de spéculations et de controverses en France. L'existence d'une telle unité est-elle une réalité militaire ou un outil de propagande dans une guerre qui se joue autant sur le front que sur les réseaux sociaux ? Notre enquête révèle que derrière ce grand bruit se cache en réalité une poignée de combattants surmédiatisés.
Du souvenir de 1942 à l'outil de propagande de 2024
En convoquant la mémoire du célèbre groupe de chasse “Normandie-Niémen”, créé en 1942, Vladimir Poutine ne choisissait pas ses mots au hasard. Il s'appuyait sur un souvenir historique cher aux relations franco-russes, celui de ces pilotes français des Forces françaises libres qui furent l’une des rares forces occidentales à se battre aux côtés de l’Armée rouge sur le sol soviétique. Une collaboration militaire célébrée, que la Russie cherchait manifestement à ressusciter symboliquement.
La réaction en France ne s'est pas fait attendre. Dans les médias, les questions ont fusé : qui sont ces Français combattant pour Poutine ? Combien sont-ils ? Les estimations se sont succédé, tantôt évoquant une trentaine de personnes selon la télévision publique russe, tantôt misant sur une dizaine, voire une “cinquantaine ou une petite centaine”, selon les analyses rapportées par Le Parisien.
Face à cette confusion, notre propre enquête révèle une réalité bien différente : l'unité "Normandie-Niémen" ne compterait en son sein que trois citoyens d’origine française. Une unité modèle pour le Kremlin, dont la puissance réside bien plus dans son nom que dans ses effectifs.
Sergei Munier, la figure de proue de cette unité fantôme
Au cœur de cette unité médiatique se trouve un individu bien connu des observateurs du conflit : Sergei Munier. D’origine franco-ukrainienne, il est la figure la plus visible de ce nouveau “Normandie-Niémen”. Ancien réserviste de l’armée française au début des années 2010, le natif de Louhansk a d’abord rejoint la lutte armée des séparatistes prorusses du Donbass dès 2014. Un engagement qui ne l'empêchera pas de rentrer en France, où il apparaît en 2016 aux côtés de l'association "Dialogue franco-russe", ou encore en 2019 dans le service d'ordre de manifestations des Gilets jaunes.
En 2022, lors de l’invasion russe de l’Ukraine, le Franco-Ukrainien reprend les armes et se mue en communicant pour la cause. Sur les réseaux sociaux, il documente son quotidien avec une médiatisation extrême. Filmant tantôt des cadavres dans les rues de Marioupol, tantôt ses propres trajets en véhicule blindé, Sergei Munier n’hésite pas à tout publier, parfois au risque de trop en dire.
Début 2023, son appartenance à la firme de mercenaires Wagner est confirmée par le journaliste Nicolas Quénel, renforçant le lien entre cette “unité” et un réseau paramilitaire controversé.
En fin de compte, l’existence de l’unité “Normandie-Niémen” de 2024 n’est pas un phénomène militaire, mais une opération de communication finement orchestrée. Il s’agit de la preuve que, dans le conflit en Ukraine, la bataille ne se joue pas uniquement avec des armes, mais aussi à travers des symboles et des images.
La déclaration de Poutine et l'hyper-médiatisation de ces quelques hommes visent à créer une illusion de soutien international et à s'approprier un passé glorieux, pour les besoins d’une propagande de plus en plus sophistiquée.
Jacques Mvumbi MABIALA
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